Thriller électoral dans le Minnesota
Souvenez-vous, la composition du sénat est encore incertaine, puisqu'il restait deux sièges pas encore définitivement attribués. La situation en Géorgie a été réglée (le sénateur sortant républicain a finalement été réélu lors du second tour), mais le siège du Minnesota est toujours en suspens et crée un véritable chaos électoral.
A l'issue du décompte officiel, les résultats étaient les suivants:
- 1'211'590 voix (41.988%) pour Norm Coleman, sénateur républicain sortant
- 1'211'375 voix (41.981%) pour Al Franken, candidat démocrate
- 437'404 voix (15.158%) pour Dean Barkley, candidat du parti "independance"
Forcément, vous voyez le problème: une différence de seulement 215 voix sur 2.9 millions de bulletins. Selon la loi, dès que l'écart est inférieur à 0.5%, un recomptage des voix doit obligatoirement avoir lieu. Or la marge est ici largement plus serrée (0.007%), déclenchant le recomptage, qui n'a débuté que le 19 novembre pour s'achever le 5 décembre.
Tout est bien qui finit bien? Pas si vite.
Lors du recomptage manuel, des représentants de chaque campagne sont présents sur les sites et peuvent contester les décisions des responsables électoraux. Par exemple, pour un vote attribué à Coleman, les représentants de Franken peuvent protester qu'il n'y a pas d'indication suffisante pour déterminer l'intention de l'électeur, ou alors peuvent dire que le bulletin doit être disqualifié en raison d'une éventuelle marque permettant de l'identifier (en effet, toute signature ou marque pouvant identifier l'électeur rend le bulletin invalide). Ou encore, il est possible que les juges décident que tel ou tel vote doit être invalide et que les campagnes souhaitent le voir compter pour leur candidat.
Bref, chaque camp peut contester certains bulletins. Tous ces "challenges" sont enlevés de la pile et mis de côté pour être examinés ultérieurement un à un par le conseil électoral. Finalement, les résultats officiels du recomptage sont
- Norm Coleman:1'208'935 voix
- Al Franken: 1'208'747 voix
c'est-à-dire que Coleman a perdu 2655 voix et Franken en a perdu 2628, principalement en raison du fait que chaque camp a contesté plusieurs milliers de bulletins de leur adversaire qui ont du coup été provisoirement mis de côté pour être examinés. Du coup, la nouvelle marge (avance de 188 voix pour Coleman) ne veut pas dire grand chose tant que les "challenges" ne seront pas résolus.
Et c'est donc maintenant cette étape qui est en cours: le conseil électoral, présidé par le secrétaire d'état Mark Richie accompagné de 4 juges, est en train d'examiné un à un tous les bulletins contestés et votent pour chacun. Evidemment, il serait grotesque que le panel doivent se plonger dans les plus de 6'000 bulletins litigieux: les campagnes ont donc fait preuve de bon sens et ont finalement retiré une grande partie de leurs challenges. Le conseil a commencé son travail mardi et espère finir ce vendredi pour étudier tout de même plus de 1'000 challenges restants.
C'est un processus public: le secrétaire d'état (démocrate) ne veut en aucun cas se faire accuser de favoritisme pour le candidat Franken, et tout cela a lieu sous le regard des avocats et des caméras. Il est même possible de suivre les délibérations en direct sur internet. Demain vendredi pourrait être le dernier jour de ce travail aberrant. Vous voulez des exemples des cas que les juges doivent trancher?
Par exemple, les deux ci-dessous ont été attribués à Norm Coleman malgré l'ambiguïté:
Dans les deux bulletins ci-dessous, celui de gauche a été compté pour personne (marque pas suffisante dans la case Franken) et celui de droite également, puisque l'électeur a voté à la fois pour Franken et pour "Don Johnson"...
Voyez encore le bulletin ci-contre, où un petit plaisantin a écrit "STEIN" à la fin du nom du candidat démocrate, de façon à donner le nom Frankenstein... Le conseil électoral a dû délibérer s'il s'agissait bien d'un vote pour Franken ou bien, comme le faisaient valoir les avocats de Coleman, d'un vote pour "une autre personne". Finalement, le vote a tout de même été compté pour Franken.
D'autres sont bien plus
absurdes, avec des électeurs qui noircissent la zone exactement au
milieu entre deux ovales, ou d'autres dessins bizarres. Bref, le
conseil prend son pied dans sa tâche titanesque...
Aujourd'hui, en comptant les litiges tranchés (mais sans compter les challenges qui avaient été retirés par les campagnes et qui n'ont pas encore été recomptabilisés), les chiffres sont
- Norm Coleman: 1'209'188 voix
- Al Franken: 1'209'183 voix
soit une avance de... 5 voix pour le sénateur sortant! Il reste encore des centaines de bulletins contestés à étudier, donc inutile de dire que le suspense est à son comble dans le Minnesota!
Voilà, donc il ne reste plus qu'à attendre demain que tout cela soit terminé et nous saurons les résultats? Pas si vite!
Un autre point litigieux concerne les bulletins faisant partie du vote anticipé qui ont été rejetés pour une raison ou une autre. Lors du comptage initial, certains de ces bulletins qui avaient été correctement remplis ont été rejetés par mégarde. Le camp Franken veut logiquement que ces bulletins soient comptés, mais Coleman (qui préfère s'en tenir à sa légère avance) dit que le conseil électoral n'a pas son mot à dire à ce sujet. La semaine dernière, le conseil a voté unanimement pour recommander aux comtés de trier leurs bulletins rejetés pour séparer ceux qui auraient été écartés par erreur. Mais le conseil a senti qu'il n'avait pas l'autorité pour forcer les autorités locales de chaque comté à inclure ces votes dans leurs décomptes: il s'agit donc seulement d'une "recommandation". Le camp Coleman a saisi la Cour Suprême du Minnesota pour arrêter ces décomptes en attendant qu'une "procédure uniforme" soit déterminée...
Bref, tout cela s'apparente à véritable chaos digne de Floride 2000 et le siège de sénateur du Minnesota pourrait être vacant à l'entrée en fonction du prochain congrès en janvier prochain. La bataille électorale et juridique est loin d'être terminée...