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Les élections américaines, live from Philly
23 janvier 2008

Et si Hillary était décidément la plus maline?

C'est samedi qu'ont lieu les primaires démocrates en Caroline du Sud, vous commencez à le savoir... Et les sondages (encore eux) indiquent que Obama devrait remporter l'état haut la main. La moyenne des derniers sondages donne Obama à 42% et Clinton à 30%. Oui, je sais, j'avais déjà dit que Obama avait une dizaine de points d'avance avant la primaire du New Hampshire, et on a vu ce qui s'est passé... Toujours est-il que cette fois-ci, Hillary n'a pas spécialement insisté à faire campagne dans l'état, admettant déjà presque sa défaite et se concentrant sur la suite. Car du point de vue démographique, Obama est clairement avantagé: environ la moitié des électeurs démocrates de Caroline du Sud sont Noirs, et le soutiennent massivement.

clintob2Hillary va donc sans doute perdre cette primaire, peut-être largement. Pourtant, les Clinton insistent sur l'importance du vote des Afro-Américains: Bill passe tout de même beaucoup de temps à serrer des mains dans des quartiers noirs, comparant ce qu'il a fait en tant que président avec ce qu'a fait Obama, invitant ainsi la presse à se pencher encore et toujours sur les questions raciales.
De toute manière, ils n'ont aucune chance dans cette compétition: les Afro-Américains du Nevada ont soutenu Obama avec une marge de plus de 60 points sur Clinton, et il n'y a pas de raison que cela ne se reproduise pas en Caroline du Sud.
Pourquoi donc se donner autant de peine alors qu'ils sont certains de perdre à ce jeu-là? Peut-être justement parce qu'ils vont perdre! Ce faisant, cela démontre la capacité de Obama à mobiliser l'électorat noir. Une élection où la race est importante? N'est-on pas au-delà de cela de nos jours? Toujours est-il que Obama remporte les votes noirs par 4 contre 1 face à Hillary, alors que celle-ci remporte les électeurs blancs par 2 contre 1. Donc si l'électorat afro-américain permet à Obama de remporter la Caroline du Sud, le message sera que ceux-ci ont voté en bloc pour le candidat noir. Cela est susceptible de créer un retour de manivelle contre lui, si, du coup, les Blancs rejoignent Hillary en masse.

Ici, les Clinton ont donc l'occasion de sembler courtiser activement la communauté noire, de perdre, et de récupérer en retour un soutien de la communauté blanche. Plus Bill Clinton se mettra en quatre pour séduire le "vote noir", plus Hillary se fera rejeter, finalement plus l'élection tournera autour des questions raciales. Ce qui n'est probablement pas bon pour Obama.

Pour que cette stratégie fonctionne, il fallait évidemment à tout prix que Hillary remporte le Nevada: ils avaient peur de perdre deux états à la suite, ce qui aurait pu créer une dynamique défavorable avant la Floride. Maintenant que Hillary a gagné le Nevada (enfin, plus ou moins), elle peut se permettre de perdre la Caroline du Sud en toute impunité. Mais ne comptez pas sur les Clinton pour dédaigner totalement l'état: il est important que les électeurs voient qu'ils ont tout fait pour séduire l'électorat noir, pour que leur rejet n'en paraisse que plus injuste... Dans ce genre de stratégie, le but est de perdre clairement et ouvertement, afin de mieux rebondir à l'étape suivante. Et comme l'étape suivante est la tournée des grands états, créer une polarisation Blancs contre Noirs ne peut qu'être favorable à Hillary.

Bien entendu, on peut se demander comment elle espérera attirer les électeurs noirs dans l'élection générale une fois avoir battu Obama. C'est là que la stratégie de Caroline du Sud prend tout son sens: si elle perdait les Noirs et attirait les Blancs en attaquant Obama, cela passerait pour douteux et sournois, et elle risquerait de perdre le soutien de la communauté pour de bon. En revanche, si elle est rejetée par eux en faveur d'Obama en étant vue comme ayant tout donné pour rechercher leur soutien, la communauté noire peut éventuellement se sentir coupable de l'avoir rejetée et sera tout à fait disposée à la soutenir dans l'élection générale.

clinob

Les Clinton ont plus d'un tour dans leur sac. Dernièrement, ils ont critiqué Obama pour avoir à l'époque soutenu un certain plan d'assurance maladie, alors qu'ils ont maintenant presque le même avis sur la question. Pourquoi prendre la peine de l'attaquer, non sur un désaccord actuel, mais pour avoir à l'époque été en désaccord avec elle? D'autant plus que la position commune qu'ils ont actuellement sur ce point précis n'est pas forcément très populaire auprès de l'électorat plus libéral... Alors à quoi bon mettre cela en évidence?

En fait, cette attaque pourrait bien être un vrai coup de maître. D'une part, cela met en avant le fait que Obama n'a pas été très consistant sur ses positions et a tendance à changer d'avis: souvenez-vous, un thème qui a plombé cruellement la campagne de John Kerry, perçu comme un "flip-flopper", une girouette changeant d'avis comme de chemise. D'autre part, cela peut éventuellement éviter que les électeurs les plus à gauche rejoignent Obama trop massivement. Le message est que Obama peut sembler être un candidat progressiste idéal pour la gauche du parti, mais qu'en réalité il est loin de prendre des positions très progressistes.

Hillary a utilisé le même thème au sujet de l'Irak: certes, il s'est peut-être opposé à la guerre dès le départ, mais qu'a-t-il vraiment entrepris pour arrêter la guerre qui soit différent de Clinton? Pareil pour l'assurance maladie: Obama semble être de gauche, mais notez bien qu'il n'est pas différent de Clinton. En d'autres termes, la campagne de Clinton accuse Obama de n'être progressiste qu'en apparence, dans ses beaux discours. Bien que l'accusation implique qu'elle non plus n'est pas si progressiste, l'argument est imbattable: cela permet du même coup d'incorporer le concept du "flip-flop", de brouiller les pistes en montrant que leurs idées sont proches, et de démonter l'image progressiste de Obama. Ajoutez à cela des discours partisans parlant de "détruire la machine républicaine" - toujours bien reçus par les démocrates, surtout après 7 ans de Bush - c'est une bonne manoeuvre pour s'attirer les faveurs des électeurs libéraux, même si elle-même ne passe pas forcément comme quelqu'un de très à gauche.

Pour contrer cela, Obama va peut-être se voir forcé de prendre des positions plus libérales sur certains sujets, ce que les démocrates essaient toujours d'éviter au maximum, de peur que ces positions leur soient reprochées ensuite dans la campagne générale.

A l'heure actuelle, Clinton a encore presque 20 points d'avance en Floride, et une avance énorme dans la plupart des états du Super Tuesday. La victoire attendue de Obama ce samedi peut-elle modifier la dynamique de façon significative? Souvenez-vous, on aurait bien tort de dire que les jeux sont faits trop tôt, mais à l'heure actuelle, Hillary est remarquablement positionnée pour remporter la nomination...

Pat - live from Philly

 

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Commentaires
S
Patrick : je suis tres impressionnee par ton "engagement" et ta "passion" pour ces elections...<br /> C'est du grand journalisme !<br /> Bisous !
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